Université de Mons, Belgique - 6 et 7 mai 2025
Les langues de spécialité (LSP), que l’on peut définir largement comme les usages spécialisés de la langue par une communauté dans un domaine particulier, font partie intégrante de la culture populaire. Selon Johns (1994, p. 4), les discours écrits et oraux des langues de spécialité peuvent être vus comme des « artéfacts culturels », voire des « genres servant des objectifs de communication au sein de groupes d’individus qui se considèrent comme appartenant à une communauté ».
De ce fait, les marqueurs des langues de spécialité tels que l’énonciation de théories ou d’hypothèses, le jargon scientifique, la terminologie, le recours à des diagrammes ou à des formules se manifestent (souvent sous une forme vulgarisée) tant en littérature que dans les films de science-fiction ou encore dans les forums de fandoms, dans le but de fournir de l’information tout en servant un objectif de divertissement.
A titre d’exemples, citons Donald au pays des mathémagiques (1959), un film d’animation expliquant des théories mathématiques fondamentales dans un court-métrage à destination des enfants ; Le Jeu de la dame (1983), un ouvrage fictionnel qui s’articule autour de l’univers du jeu des échecs en décrivant notamment les stratagèmes d’ouverture et l’étude du jeu en général (ce roman a donné lieu à une adaptation éponyme sous forme d’une série produite par Netflix (2020)) ; la sitcom The Big Bang Theory (2007 – 2019), qui met en scène de jeunes physiciens qui travaillent à l’université et abordent une multitude de théories scientifiques à travers de nombreuses références et clins d’œil dans chaque épisode ; les films de science-fiction, qui s’appuient eux aussi abondamment sur la LSP pour véhiculer des idées réelles ou hypothétiques : le film Interstellar (2014), par exemple, explore la théorie de la relativité pour faire voyager des astronautes à travers l’espace-temps.
A l’occasion d’un colloque international, nous accueillons des propositions de communication sur l’exploitation des langues de spécialité et / ou de leur traduction dans la culture populaire à travers 5 axes (sans que cette liste soit exhaustive) :
Considérations linguistiques et terminologiques : comment le jargon scientifique et la terminologie sont-ils intégrés dans la narration ? Quels processus linguistiques agissent comme marqueurs de la vulgarisation dans la narration (et pourquoi ?) ou ciblent délibérément une communauté scientifique en particulier ? La vulgarisation scientifique se manifeste notamment à travers des métaphores (Fries, 2011 ; Rossi, 2015), des questionnements, la personnalisation, l’humour, la contingence (Giannoni, 2008). Peut-on considérer que les narrations littéraires et audiovisuelles ayant pour thèmes des théories scientifiques agissent comme des mises en récit de celles-ci ? Si oui, quels procédés témoignent de cette mise en récit (Resche, 2016) ? Quels marqueurs discursifs témoignent de l’exploitation des langues de spécialité (Babaii et Asadnia, 2021) ? Quelle place les langues de spécialité et les processus de vulgarisation occupent-ils dans diverses formes de communication (romans, bande dessinée, films de science-fiction, sous-titres, publicité, publications sur les réseaux sociaux, tweets, …) ?
Considérations didactiques : Comme le rappellent Kirby (2014) et Vidal (2018), le « modèle du déficit » selon lequel les connaissances scientifiques déficitaires du public poussent les scientifiques à considérer leur communication d’un point de vue nécessairement pédagogique semble toujours être l’approche dominante, et ce malgré de nombreuses critiques (Pouliot et Godbout, 2014). De ce point de vue, LSP et vulgarisation semblent indissociables. Mais quels phénomènes inter- ou intralinguistiques peut-on observer ? Par exemple, constate-t-on une différence de registres des langues de spécialité dans les échanges entre les personnages (profane / expert) ? Par quelles manifestations cette différence se marque-t-elle ? D’un point de vue différent, de nombreux auteurs (Johns, 1994 ; Petit, 1999 ; Isani, 2009 ; Whyte, 2016 ; Cartron, 2022) proposent le recours à la fiction populaire (littéraire, cinématographique ou télévisée) en tant que matériau authentique pour l’enseignement des LSP. Dans quelle mesure ces textes offrent-ils aux apprenants “une voie d’accès aux langues de spécialité” (Petit, 1999) ?
Réception : Selon Kirby (2014), la science-fiction influence les croyances et les perceptions du public récepteur en véhiculant des postulats scientifiques. Comment l’œuvre en question est-elle accueillie ? Remarque-t-on des processus d’identification à une communauté (communauté de scientifiques, non experts, fandoms, …) ou, au contraire, un rejet de la part du public ? De nombreux auteurs et scénaristes font appel à des scientifiques pour tendre à une représentation fidèle des notions scientifiques. Comment cette démarche est-elle perçue par le public profane et par le public savant ? L’utilisation et la traduction des langues de spécialité peuvent-elles avoir une influence sur la sociologie des publics (Esquenazi, 2009a) ? En adoptant la perspective ouverte par les études de fans, et le développement de la « culture geek », pourrait-on considérer le public scientifique comme un public à part entière (Clark, 2008) ?
Adaptation et intermédialité : D’un point de vue intersémiotique, comment les théories et concepts scientifiques sont-ils représentés ? Le rapport entre différents systèmes sémiotiques – image, langue et LSP, dialogue, musique, etc. – est-il nécessairement mis au service du processus de vulgarisation ? La représentation de “systèmes scientifiques” (Kirby, 2008, 2014) donne-t-elle lieu à des considérations spécifiques dans le cadre d’adaptations littéraires, cinématographiques et audiovisuelles ? Le transfert d’un médium à un autre est-il nécessairement révélateur d’une tension entre des formats narratifs et des besoins opposés (Kirby, 2008) ou peut-il, au contraire, témoigner de genres à portée inter- ou transmédiale comme on peut le dire de la science-fiction (Van Parys et Hunter, 2013) ?
Référentialité : Quelles potentielles références, quelles connaissances ou quel bagage scientifique sont nécessaires à une compréhension fine du contenu scientifique présenté dans l’œuvre ? Kirby (2008), lorsqu’il aborde la question de la représentation scientifique au cinéma, indique que les rapports entre la communauté scientifique et les cinéastes donnent lieu à une tension entre les buts recherchés. Là où les uns s’attachent à l’authenticité, les autres se contentent de vraisemblance. Dans quelle mesure la référentialité, entendue comme référence au monde extérieur, dans ses aspects proprement scientifiques a-t-elle une influence sur l’authenticité de l’univers fictionnel ? Quelle est la place à accorder à la notion de vérité scientifique dans la traduction ou l’adaptation ? Les processus de vulgarisation se mettent-ils au service de la « vérité de la fiction » (Esquenazi, 2009b) ?
Références
Babaii, E., & Asadnia, F. (2021). “If a black hole is an oyster, then . . .”: The discoursal trends of popularization in science fiction movies. Public Understanding of Science, 30(7), 868 880. https://doi.org/10.1177/09636625211038117
Cartron, A. (2022). Vers une caractérisation du spécialisé représenté dans la fiction à substrat professionnel télévisuelle : l’exemple de la série policière et criminalistique NCIS. ILCEA, 47. https://doi.org/10.4000/ilcea.15239
Clark, M. (2008). Science Fiction Fandom, Geek Culture, and the Image of the Engineer. International Network for Engineering Studies. https://www.inesweb.org/files/Clark.doc
Esquenazi, J.-P. (2009a). Sociologie des publics. La Découverte.
Esquenazi, J.-P. (2009b). La Vérité de la fiction. Comment peut-on croire que les récits de fiction nous parlent sérieusement de la vérité ? Lavoisier.
Fries, M.-H. (2011). De l’utilité des métaphores dans le style scientifique. Etudes de stylistique anglaise, 2, 57 76. https://doi.org/10.4000/esa.1881
Giannoni, D. S. (2008). Popularizing features in English journal editorials. English for Specific Purposes, 27(2), 212 232. https://doi.org/10.1016/j.esp.2006.12.001
Isani, S. (2009). Specialised fictional narrative and lay readership: Bridging the accessibility gap. ASp, 56, 45-65. https://doi.org/10.4000/asp.129
Johns, A. M. (1994). LSP and culture: A special relationship. ASp, 56, 1119. https://doi.org/10.4000/asp.4002
Kirby, D. (2008). Cinematic science: The public communication of science and technology in popular films. In Bucchi & B. Trench (Éds.), Routledge Handbook of public communication of science and technology. Routledge, taylor & Francis Group, 41-56.
Kirby, D. (2014). Science and technology in films: Themes and representations. In M. Bucchi & B. Trench (Éds.), Routledge handbook of public communication of science and technology (Second edition). Routledge, Taylor & Francis Group, 97-112.
Petit, M. (1999). La Fiction à substrat professionnel : une autre voie d’accès à l’anglais de spécialité. ASp, 23-26. https://doi.org/10.4000/asp.2325
Pouliot, C., & Godbout, J. (2014, 12 Novembre). Il est temps de se débarrasser du « modèle du déficit ». University Affairs/Affaires Universitaires. https://www.affairesuniversitaires.ca/opinion/a-mon-avis/il-est-temps-de-se-debarrasser-du-modele-du-deficit/
Resche, C. (2016). La mise en récit dans les discours spécialisés. Peter Lang.
Rossi, M. (2015). In rure alieno : Métaphores et termes nomades dans les langues de spécialité. Peter Lang.
Van Parys, T., & Hunter, I.Q. (2013). Science Fiction across media: Adaptation/Novelization. Gylphi.
Vidal, F. (2018). Accuracy, Authenticity, Fidelity: Aesthetic Realism, the “Deficit Model,” and the Public Understanding of Science. Science in Context, 31(1), 129 153.
Whyte, S. (2016). Who are the specialists? Teaching and learning specialised language in French educational contexts. Researching and teaching languages, 35(1). https://doi.org/10.4000/apliut.5487
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